Etat, tabac, e-cigarette et argent : une équation qui pose question
Alors que l’Assemblée Nationale est en train de voter le plan anti-tabac de Marisol Touraine et les amendements concernant l’e-cigarette, il nous a paru important de faire un petit point sur cette équation délicate qui fait entrer en jeu Etat, tabac, e-cigarette et argent. Car, comme bien souvent, tout ceci semble être une histoire de gros sous. Le problème, c’est que contrairement à ce que beaucoup de vapoteurs pensent, le tabac est loin d’être une manne si intéressante. Eléments de réflexion.
Et si on évaluait la manne du tabac ?
Du côté des buralistes
Bien entendu, le tabac, c’est avant tout une manne pour les buralistes. Car même si les ventes de cigarettes ne représentent qu’une faible part du CA de ces entrepreneurs (21,6% selon la Cour des Comptes), les paquets de cigarette attirent dans leurs locaux de nombreux clients qui peuvent donc consommer les autres produits et services, beaucoup plus rémunérateurs, offerts par les buralistes.
Ainsi, la hausse des prix du tabac associée aux aides publiques de l’Etat (eh oui, pour s’excuser de faire grimper le prix des paquets, l’Etat verse environ 300 millions d’euros chaque année aux buralistes, aides que tacle la Cour des Comptes dans un rapport de 2013 - PDF à télécharger, un document passionnant retraçant également l’histoire de la relation entre l’Etat français et le tabac et expliquant comment les aides de l’Etat génèrent un supplément de revenus de 4 000€/an et par buraliste… - comprendra qui peut…) et aux fermetures de nombreux débits (qui dit moins de concurrence, dit plus de CA pour ceux qui restent) font que les buralistes vont bien, merci pour eux.
En effet, selon le JDN, les buralistes se placent en 8ème position des indépendants les mieux payés avec un résultat annuel moyen de 60 000€ en 2011. Ajoutons que les bureaux de tabac représentent 100 000 emplois à ajouter à l’équation, pour commencer à mieux comprendre.
Du côté de l’Etat
Voyons un peu du côté de l’Etat maintenant.
Il faut commencer dans ce cas par prendre en compte le fait que les gens venant acheter un paquet de cigarette vont être tentés de se prendre un petit jeu à gratter, présenté justement sous le comptoir de caisse (ce qui est d’autant plus vrai quand les buralistes imposent – ce qui est illégal – un minimum de 15€ pour un paiement par CB : les fumeurs sont alors obligés d’ajouter un ou deux jeux à gratter à leurs 2 paquets de cigarette pour atteindre, et bien souvent dépasser, ces fameux 15€…).
Or, ces jeux à gratter, ils sont édités et génèrent des revenus… à la Française des Jeux, qui est une entreprise publique qui roule sur l’or avec, en 2014, selon le Monde, un CA de 13 milliards d’euros, soit une recette fiscale moyenne pour l’Etat estimé entre 1 milliard et 3 milliards d’euros.
Les recettes fiscales, grâce aux taxes sur le tabac, sont quant à elles connues et représentent environ 12/14 milliards d’euros annuels à l’Etat, selon un rapport de la Cour des Comptes.
Donc, entre les impôts générés par les bénéfices des buralistes, les ventes additionnelles de jeux de hasard, les emplois créés et les recettes fiscales directement liées aux ventes de tabac (c’est-à-dire en cumulant les recettes directes et indirectes du tabac), l’Etat touche, grâce aux cigaretiers, un joli pactole que l’on peut facilement estimer à plus de 15 milliards d’euros annuels.
L’horreur de la manne du tabac, c’est qu’à ces revenus bruts, il convient d’ajouter le bénéfice lié… aux retraites non versées pour cause de décès prématuré ! Ce bénéfice est estimé à 5 milliards d’euros environ.
Cela nous fait un « résultat », au bénéfice de l’Etat, d’environ 20 milliards d’euros.
Et le coût du tabac dans tout ça ?
Le problème, c’est que, d’après plusieurs études, dont on trouve un résumé sur le site du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) (et que l’on retrouve dans une étude de la Cour des Comptes plus récente, téléchargeable ici ; page 38 du PDF…), le tabac coûterait à la société (entre les coûts directs générés par les maladies liées au tabac et les coûts indirects générés par les arrêts maladies, les pauses, etc.) un montant estimé à… 47 milliards d’euros !
Même si, comme le rappelle cet article du Monde, ce montant est contesté parce que l’évaluation des coûts du tabac est délicate, tout le monde s’accorde à dire que le tabac coûte bien plus qu’il ne rapporte.
Il serait donc temps de mettre en regard, pour une fois, les coûts et les recettes du tabac pour enfin prendre des décisions politiques pertinentes dans la lutte contre le tabagisme. Car jusqu’à présent, toutes les mesures se font en faveur du tabac, contre les fumeurs et maintenant contre la cigarette électronique !
Des problèmes de conflits d’intérêt, de lobbying et de « portes-tambour »
Le CNCT rappelle que, selon des documents internes de la Confédération des buralistes, leur puissance financière s’élève… à 80 millions d’euros. On est loin de la capacité de lobbying des vendeurs de cigarette électronique (qui craignent la fermeture de 500 boutiques environ en 2015 et avec un CA annuel de seulement 450 millions d’euros en 2014), d’après la FIVAPE citée dans cet article du Figaro.
Il résulte de cette puissance financière, et de l’alliance entre les industriels du tabac et les buralistes, un lobbying très puissant qui ne cache pas ses méthodes, comme le rappelle le CNCT : développer des alliances parmi les responsables politiques, créer des événements « de réflexion » associant professionnels du tabac, professionnels de santé et politiques, dénigrer les opposants à Big Tobacco et créer des sites de désinformation (dont le célèbre site Le Monde du tabac).
Mais, pire encore, comme le précise l’enquête du journaliste Matthieu Pechberty (L’Etat accroc au tabac, First), dont l’Express délivre quelques extraits choisis et accablants, les hauts fonctionnaires chargés de réglementer la vente de tabac sont dans des conflits d’intérêt tragiques avec les industriels du tabac ; certains passant même sans problème des Administrations publiques aux industries et vice-versa !
En réalité donc, le problème n’est pas une question de ressource pour l’Etat, mais bel et bien de corruption à grande échelle. Notre cigarette électronique se fait allumer parce que des hauts fonctionnaires ont tout intérêt, personnellement, à ce que le tabac continue de tuer des citoyens français !
Bonne réflexion.
Et bonne vape.
Commentaire Facebook